Au cours de la journée, je rencontrais mes nouveaux compagnons. J’appréciais la chaleur de leur accueil et leur tolérance. Pas un ne me regarda avec cette lueur indicible de soupçon et de méfiance qu’ont parfois les randoliens à l’égard des titans. Il est vrai que le passé de ma race, fer de lance des armées d’Eres, s’illustre tristement par la destruction et le sang versé au cours des premières conquêtes du dieu des ténèbres. Et lorsque parfois je me désaltère et que j’observe malgré moi mon reflet dans l’eau, je réalise à quel point les traits de mon visage sont maléfiques et dessinés pour susciter la terreur dans les cœurs. Comment pourrais-je leur reprocher d’avoir peur quand tout dans mon apparence transpire la violence et la mort. Il est des atavismes qui ont la peau dure et je sais que les nombreux bains que je prend n’effaceront jamais ce triste héritage inscrit dans mon corps.
Toutefois, je ne rencontrais pas cela chez les Bleu du Ciel. Je fut même amusé de constater que dame Swiin jugeait sot et lâche mon vœu d’abandonner les armes. Si la discussion que nous eûmes visait à m’encourager à reprendre ma vieille hache de bataille, j’espère avoir fait comprendre à la voleuse que tel n’était plus ma voie à présent.
Plus tard, lorsque le crépuscule commençait a poindre, nous nous réunîmes au quartier général pour partager un moment de détente dans le lac qui jouxte notre bâtisse. Dame Akhyla immortalisa ce moment de bonheur simple né du fait d’être réunit à cet instant et en cet endroit. J’admirais son joli coup de fusain et cueillait un brin d’herbe que je portais machinalement à la bouche..
Je constatais alors que tous m’observaient, intrigués par la douceur de mon comportement et je réalisais à quel point j’avais changé depuis mon retour dans la capitale du royaume. Mais était-ce un changement ou plutôt une évolution ?
Je repensais brièvement aux premiers jours dans Randol, lorsque je m’étais rué à la taverne, dévorant un demi quartier de bœuf par repas, éclusant tonnelet d’hydromel sur tonnelet et levant les yeux sans cesse à l’affût d’une damoiselle qui me tendrait ses bras et ses lèvres. Ce n’était pas si loin et pourtant j’avais l’impression que cela faisait maintenant partie d’un passé révolu depuis de nombreux cycles.
Je n’éprouvais plus l’envie d’aller à la taverne, au contraire je la fuyais non comme un lieu de débauche mais parcequ’elle ne répondait pas à mes attentes de spiritualité.
Que s’était-il passé ?
Peut-être cela avait-il commencé lorsque je m’étais baigné dans la fontaine de Randol et que j’avais ensuite éprouvé un besoin irrésistible de méditer. Depuis ce jour, je passais la majeur partie de mon temps en position du lotus dans les jardins du palais, négligeant parfois de m’alimenter. Un comble pour un titan !
J’esquissais un sourire lorsque mes réflexions furent interrompues par Arnaldur.
- Gladoushliebe, pourquoi ne deviendrais tu pas le prêtre officiel du clan ?
J’admirais sa clairvoyance qui avait su mettre à jour l’appel auquel je m’efforçais de répondre depuis quelques semaines.
- Je vais y réfléchir et irai voir l’archevêque de Randol pour avoir son accord répondis-je en espérant intérieurement que ce dernier ne s’opposerait pas à mon ordination…